Retraite : les trois aberrations de la réforme qui se dessine
1/ Aucune mesure d’âge, uniquement des prélèvements.
2/ Les retraités pour payer les retraites
3/ Dépenser l’argent qu’on n’a pas
Retraite : les trois aberrations de la réforme qui se dessine
Aucune mesure d’âge susceptible de réduire rapidement les déficits ne devrait être prise. Et des dépenses supplémentaires sont à l’ordre du jour
Publié le mardi 13 août à 19h26, par Olivier Auguste, Journaliste
Les faits - Visitant un chantier de nuit, Jean-Marc Ayrault a redit mardi que la réforme des retraites ne serait «pas uniquement comptable». Il a de nouveau promis l’instauration d’un dispositif pour compenser la pénibilité de certains postes.
1/ Aucune mesure d’âge, uniquement des prélèvements.
Cela reste le fond du problème : papy boom et allongement de la durée de la vie s’additionnent, et le rapport entre nombre de cotisants et nombre de retraités recule. Et pourtant, plus son projet de réforme se décante, moins le gouvernement semble disposé à agir sur le facteur clé d’équilibre d’un régime par répartition. François Hollande a exclu de relever l’âge légal au-delà de 62 ans. L’allongement de la durée de cotisation est envisagé… mais pour plus tard. Le gouvernement devrait se contenter de prolonger la « règle Fillon » au-delà de son terme prévu, c’est-à-dire 2020. Cette règle, inscrite dans la loi en 2003, stipule que les gains d’expérience de vie sont partagés de façon à maintenir de rapport entre durée de carrière et de retraite. Ses effets sont déjà actés pour les personnes nées jusqu’en 1956, les changements éventuels ne concerneront donc « au mieux » que la génération 1957, qui pourra prendre sa retraite à partir de 2019. Un allongement de la durée de cotisation ne produirait donc aucun effet avant la fin de la décennie. Sauf à remettre en cause la règle Fillon, ce qui semble assez improbable car la gauche n’y est que fraîchement convertie. Elle l’a dénoncée pendant sept ans, avant de s’y rallier en 2010… pour mieux protester contre le recul de l’âge légal. Le Figaro confirme mardi qu’« au sommet de l’exécutif », on penche pour une hausse de la durée de cotisation après 2020. Pour combler le trou d’ici là, il faudra donc faire appel à des recettes supplémentaires. Des hausses de prélèvement, donc.
2/ Les retraités pour payer les retraites
Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Voilà pourquoi François Hollande penche pour la CSG plutôt qu’une hausse des cotisations. Davantage de cotisations, c’est un coût du travail plus élevé, ce qui serait « contradictoire » avec la volonté affichée de redresser la compétitivité des entreprises, a-t-on réalisé à l’Elysée. La CSG, elle, frappe les ménages. Sur leurs revenus du travail mais aussi du capital – et des jeux -, argument important pour la gauche. Et, également, sur leurs revenus de remplacement, comme les allocations chômage ou les pensions de retraite. C’est là que la situation devient baroque : les retraités subiront un prélèvement destiné à… financer les retraites. C’est ce qui s’appelle prendre dans une poche pour remplir l’autre. Le principe même de retraite par répartition s’éloigne. Les retraités sont déjà assujettis à la CSG (à des taux réduits, et avec une exonération pour ceux dont les ressources sont faibles) mais, jusqu’ici, celle-ci finance d’autres dépenses : Assurance-maladie, allocations familiales, autonomie, remboursement de la dette sociale. Une petite partie est déjà affectée au Fonds de solidarité vieillesse mais cet organisme prend en charge les cotisations retraite des chômeurs ou le minimum vieillesse, il ne s’agit pas de financer le cœur du système des retraites.
3/ Dépenser l’argent qu’on n’a pas
D’accord pour faire attention à la compétitivité, mais « il serait difficile de ne pas faire contribuer les entreprises, les ménages ne le comprendraient pas », pense-t-on dans l’entourage de François Hollande. Pas d’inquiétude : le premier ministre a trouvé de quoi les faire passer à la caisse ! Jean-Marc Ayrault a confirmé mardi à l’aube, visitant le chantier d’un tunnel dans les Yvelines, qu’il proposerait un mécanisme pour compenser la pénibilité du travail. Au nom, bien sûr, de la justice. Il s’inspirera du rapport Moreau qui propose un « compte individuel pénibilité » : un point pour chaque trimestre d’exposition à un facteur de pénibilité (travail de nuit, exposition au bruit, à des produits cancérigènes, à des températures extrêmes, port de charges lourdes, gestes répétitifs…). Les points peuvent ensuite être échangés : 10 points pour un trimestre de congé formation rémunéré, afin de changer de travail, 20 points pour un trimestre à temps partiel payé à temps plein, 30 points pour un trimestre de cotisation retraite « offert », permettant de partir en retraite plus vite. Le gouvernement semble même sensible aux arguments de plusieurs syndicats qui poussent à adoucir ce barème pour favoriser les départs en retraite précoces et faire « de la place aux jeunes », en cette période de chômage massif – « il y a besoin de turn over », approuve un élu socialiste. Beaucoup de questions se posent. Est-ce au système de retraite de compenser cette pénibilité ? Comment recenser l’exposition des salariés aux facteurs de pénibilité pendant toute leur carrière sans bâtir une usine à gaz ? Et surtout : combien ces mesures coûteront-elles ? Le rapport Moreau estime que pas moins d’un salarié sur quatre pourrait être concerné ! Il chiffre la dépense à 2,1 milliards d’euros par an, tout en reconnaissant que « les chiffrages sont fragiles et les sources disponibles pour l’instant limitées ».